Grand Prieuré de France des Chevaliers de la Foudre

7 juin 40, dans le ciel de ROYE

D' Eric ABADIE Picardie 39/45, janvier 2012
"A bord du Potez 63-11, n° 827, appartenant au Groupe de Reconnaissance I/35, basé à
Mantes, le Lieutenant Pierre-Marie RÉGIS, officier observateur, le Sergent Marc Joanny
PRINI, pilote, et le Sergent Roger Claude MATHELIN, mitrailleur. Ils ont pour mission la
reconnaissance et l’observation de la progression des colonnes allemandes dans la région de
Roye, en ce matin du 7 juin 1940. C’est une mission de sacrifice. Ils savent qu’ils ne pourront
compter sur aucune protection de la chasse française sur zone et que la maîtrise du ciel de
Picardie sera entièrement du côté de la chasse allemande. Rien n'y fait, malgré plusieurs
incidents, l’avion s'envole de la base de Mantes et met le cap sur Roye.
Au-dessus de la ville, seul face aux Messerschmitt, l’appareil est une cible facile. Les trois
hommes ont compris que leur fin est proche. Mais ils se battent dans un dernier baroud
d'honneur avant de s'écraser dans les marais Demouy près de l’Avre (rivière). Il semble que
l’appareil de reconnaissance ait été abattu par le feldwebel Werner Kauffmann du 4./JG 53.
En effet, ce dernier revendique une victoire sur un Potez au dessus de Roye ce jour-là vers 11
h. 05.
Si les corps des deux compagnons du lieutenant Régis, les sergents Prini et Mathelin, seront
rapidement récupérés carbonisés près de l'appareil qui a percuté l’angle de la tannerie
DEMOUY rue Saint-Gilles, mettant le feu au bâtiment, ce ne sera qu’à l’automne 1940 que le
corps du Lieutenant Régis sera retrouvé. En l’absence de nouvelles, la famille de Pierre Régis
délègue l’oncle du défunt lieutenant dans la région de Roye où le peu de renseignements
rassemblés portent à croire que l'appareil a disparu. Après plusieurs jours de recherches, c’est
celui-ci qui finit par découvrir la carlingue de l'appareil. Il faut imaginer la ville de Roye
détruite, les rues encombrées de gravas. Personne n’a pensé à s’intéresser à cette carcasse
d'avion, ni à savoir le nombre précis des membres d’équipage du Potez.
Avec l'aide de M. Demouy propriétaire de la tannerie et de plusieurs personnes, l'avion fut
sorti de l'Avre et le corps de Pierre Régis fut découvert dans la rivière avec son parachute. Il
put être identifié grâce à son alliance et sa carte d'identité miraculeusement conservée. Inhumé
dans un premier temps à Roye, il fut après guerre ramené dans son pays natal.
Deux citations furent accordées au Lieutenant Pierre RÉGIS dont voici la teneur :
CITATION A L'ORDRE DE L'ESCADRE AERIENNE
« REGIS (Pierre), lieutenant, groupe de reconnaissance 1/35 : officier observateur, calme et
réfléchi. A accompli brillamment le 27 mai -1940 une reconnaissance à basse altitude dans les
lignes ennemies. Bien que son avion ait été endommagé par les tirs de la D.C.A. ennemie, a
continué sa mission jusqu'au bout, ramenant les renseignements les plus précieux.
Cette citation comporte la croix de guerre avec étoile de bronze».
Extrait du JOURNAL OFFICIEL du 8 Mars 1941
« REGIS (Pierre), lieutenant, groupe de reconnaissance 1/35 : officier observateur calme,
courageux et sûr. A fait preuve des plus belles qualités d'activité réfléchie et de cœur,
notamment au cours du bombardement aérien du terrain de Mantes, le 3 juin 1940. Tombé
glorieusement au champ d'honneur, le 7 juin, au cours d'une reconnaissance aérienne à
l'intérieur des lignes ennemies. Déjà cité.
Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre avec palme. »
Pour compléter ce dossier, voici le texte d’une plaquette dédiée à cet équipage qui montre le
sacrifice de ces trois aviateurs. Il faut prendre évidemment du recul avec la fin du récit car nul
ne peut témoigner objectivement des derniers instants des aviateurs et du Potez en ce matin du
7 juin 1940.
« In Memoriam
Pierre REGIS
Mort pour la France
C’était une force de la nature une sorte de faucon à l’œil perçant, au corps agile, à la décision
rapide et d’une sûreté d'action merveilleuse. La mer, la montagne n’avaient pour lui que des
appels : toute crainte lui était parfaitement étrangère. En société il en était de même. Tel il
était lorsque je l’ai connu : ce n'étaient que les étincelles d’un feu, que la guerre devait rendre
éblouissant. La jeunesse d’un héros ne fait-elle pas souvent deviner ce que l’homme sera plus
tard ?
Son service militaire fut retardé du fait d’un terrible accident dû à son audace et qui faillit lui
coûter un bras. On l’ajourna, on l’aurait même réformé sans son insistance. Il avait trop
pratiqué l’aviation pour ne pas choisir cette arme à laquelle tous ses instincts le conviaient ;
mais c'est comme observateur et non comme pilote, comme il l’eût désiré, qu'il servit en 1939
 ; c'est d’observateurs que l’on manquait surtout.
On sait l’inaction dans laquelle se passèrent les premiers mois de cette guerre ; et les exercices
préliminaires auxquels on se livrait à l’arrière, se faisaient sans le matériel suffisant.
Brusquement rappelé de permission, comme tant d'autres, lors de l'invasion du 10 mai, il
commença par une reconnaissance en terrain ennemi, où sa carlingue reçut un obus qui, par
chance, n’éclata pas, et dont il revint sain et sauf avec les clichés désirés.
Puis c’est un épisode autrement tragique : dans le repli général, la préservation sous les
bombardements célestes, à Mantes, de tout le personnel et de tout le matériel aérien possible,
menacés d’anéantissement. Le calme et le sang-froid furent à la hauteur du courage, car cette
âme ardente savait conserver à l’occasion le flegme d’un tempérament tranquille.
Des citations bien naturelles reconnurent en lui ces rares qualités. Mais voici la journée
épique, celle où nous devons laisser la parole au rapport de son frère Jacques Régis : « Puis
vint l’aube du 7 juin. Equipage d’alerte de nuit sur le terrain ; ils sont commandés pour aller
survoler la région de Roye où les blindés allemands semblent opérer une concentration
massive. Il s’agit de survoler les lignes à basse altitude, de s’enfoncer au-dessus du secteur de
Roye pour dénombrer au ras du sol, dès le point du jour, les unités ennemies qui se préparent
à l'offensive. Le renseignement est urgent, on a demandé un équipage d'élite qui, la mission
remplie, doit se diriger à toute vitesse vers Chantilly où se trouve le G.Q.G., y jeter un
message qui sera attendu depuis l’aube sur une pelouse balisée à cet effet, afin que le résultat
soit connu directement et sans retard, puis rejoindre le terrain.
Avant l’aube, ils mettent les moteurs en route, mais l’un d’eux refuse de partir, tous les efforts
sont vains, une demi-heure est perdue ainsi. Pierre, voyant que l’heure passe et de précieuses
minutes perdues, fait avancer un autre appareil dont les moteurs partent bien. Le temps de les
chauffer et de décapoter l’appareil, de le débarrasser de son camouflage nocturne, encore une
demi-heure de perdue.
Le jour n’est pas loin maintenant et le risque de la mission augmente à chaque minute, car la
chasse ennemie prend l’air dès le lever du jour et Pierre sait qu'il n’aura pas de chasse
française pour le protéger ; enfin l’appareil est prêt, calmement il donne l’ordre du départ.
L’appareil roule, accélère sa course, puis bascule et s’effondre dans un trou de bombe mal
comblé, du bombardement de l’avant-veille, écrasant son train d'atterrissage dans la profonde
cuvette.
On se précipite, l’appareil est remorqué hors de piste pendant que les mécaniciens s’affairent
à préparer un troisième Potez. Il fait presque jour maintenant et, quand ce dernier est prêt,
c’est dans la clarté du soleil levant que l'équipage décolle en trombe. Mais hélas ! les minutes
perdues vont leur être fatales. Ceux qui sont restés sur le terrain et qui savent le terrible
danger que ce retard leur fait courir, ont le cœur serré.
Dans l’émotion de ces minutes tragiques, Pierre reste toujours d’un calme serein, comme il va
le rester un peu plus tard dans un ciel de bataille. En effet, l’appareil fonce maintenant à 350
km. à l’heure vers Roye. Mais il fait grand jour ; le bimoteur essaie de se faufiler à basse
altitude et aborde les lignes ou ce qu’il en reste, car la percée allemande a disloqué notre front
depuis quelques jours. Mais là-haut, les Messerschmitt qui veillent, ont vu l'appareil et une
nuée de chasseurs ennemis foncent de plusieurs milliers de mètres. S’échapper, il n’en est pas
question, bien qu’ils aient une chance en faisant demi-tour tout de suite ; mais il y a la
mission. Alors ils continuent et leurs malheureux 350 km/h sont submergés par les chasseurs
ennemis qui foncent en piqué à plus de 600 km à l'heure. Ils sont au-dessus de Roye. Le
mitrailleur d’arrière, Mathelin, un as du tir, plein de calme et de sang-froid, tire, tire sur les
Messerschmitt qui le mitraillent par derrière. Il en abat un. Mais ils sont vingt, et plus peut-
être, et les Français sont touchés. L’appareil prend feu. Mathelin, certainement, a été tué dès
le premier engagement.
L’appareil pique au sol, poursuivi par les chasseurs, mais l'équipage de Pierre n’a pas dit son
dernier mot. Quel est celui qui reste vivant à bord ? Est-ce Prini, le pilote sûr et adroit ? Est-ce
Pierre lui-même qui, avec la double commande, aura tenté l’ultime manœuvre ? On ne le
saura jamais. Quoi qu’il en soit, un témoin oculaire de qui nous tenons ces détails, nous dit :
« Ils semblaient s’abattre, l’appareil flambait ; tout à coup, ils redressèrent dans un dernier
sursaut et firent feu de leurs mitrailleuses d’avant sur un appareil allemand trop
imprudemment rapproché et l’abattirent, puis le Potez piqua et s’écrasa sur les bords de
l’Avre, aux portes de Roye. »
Et c’est là, plus de quatre mois après, le 18 octobre, que par les soins d’un oncle affectionné,
M. Emile Régis, le corps de Pierre fut retrouvé, la face contre terre et les bras en croix. La
veille de sa mort, il avait communié dans la cathédrale de Chartres. Gabriel Ancey. »
Quant à ses compagnons, lors de l’exhumation des corps, malgré l’état des corps carbonisés,
on parvint tout de même à identifier le sergent Prini et par déduction le sergent Mathelin.

"